Marre, marre, paresseux et ivre en même temps. Voilà à quoi ça ressemble, Doha, après deux jours de demi-finales de la Coupe du monde. Sur la Corniche, dont la FIFA a fait son terrain de jeu, il n’y a que quelques dizaines de passants en fin de matinée. Même le muezzin semble appeler à voix basse les fidèles au rite de la prière, comme s’il faisait lui aussi partie des 50 000 (dans le stade, mais tout autant dans les rues et les rues) qui se sont déchaînés pour précipiter le Maroc avec intensité et un duel malheureux contre les Français (eux, s’ils sont champions en titre, c’est pour ça qu’ils nous ont tous rappelé le stade Al Bayt ce soir-là).
On a besoin de cette journée de repos (en fait il n’y a pas de match vendredi, mais on recommence avec les conférences de presse des Marocains et des Croates, qui sont engagés dans la finale pour la troisième place samedi), pour reprendre notre souffle, ranger, mettre émotions et pensées de côté et recharger nos batteries en vue de la dernière déchirure, du dernier défi, celui qui portera le jugement final, balayant le champ des hypothèses et des possibles, séparant clairement le vainqueur du vaincu. La poésie n’est-elle pas, selon l’esthétique de l’ancêtre du romantisme anglais, William Wordsworth, « des émotions recueillies dans la tranquillité » ? A cette époque, l’Islam et l’Occident continuaient (encore) de s’affronter sur les champs de bataille, se croisant le long des routes commerciales maritimes et terrestres mondiales, s’engageant dans un dialogue explicite et secret, comme les deux faces d’une même médaille, différentes mais presque incapables de étant opposés.
Il n’est donc pas surprenant que les touristes occidentaux en particulier gravissent les marches bordées de fontaines du Musée d’art islamique de Doha, étendent leur regard le long de West Bay depuis le promontoire sur lequel il se trouve, mais s’attardent (oui, nous restons , après avoir fait la queue à l’entrée) enchanté et intrigué par la redécouverte de la part de l’expérience partagée qui est liée à la mémoire archétypale. Il suffit de penser à la vision qui se précipite de ce promontoire et de ces pavillons et galeries vers la Mésopotamie, Bagdad, l’Irak, bien sûr berceau de la civilisation mais aussi des utopies culturelles et architecturales alors débordées par le régime de Saddam Hussein, et menées et subies par les guerres. Des parties de l’histoire à relire, revivre, réécrire.
A l’image de ce nouveau chapitre – dans l’histoire prosaïque du football – qu’écriront l’Argentine et la France, pourtant elles iront ensemble dimanche au stade de Lusail. En revanche, dans l’Islam, n’est-ce pas précisément à travers l’art de l’écriture et de la calligraphie que le divin se manifeste dans l’histoire humaine ? Et n’est-ce pas peut-être une main de Dieu qui a donné à l’Argentine le titre mondial mexicain en 1986 ? Cette fois, d’autres mains pourraient s’étendre sur cette tasse. Et s’ils étaient ceux du capitaine français, le gardien de Tottenham Llorris, ils seraient les premiers de l’histoire du football à soulever ce trophée deux fois (puisqu’il a également été capitaine en Russie 2018). Une nouvelle histoire encore à écrire, tout au long du mince horizon qui sépare le ciel de la mer ici à Doha.
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