Nous publions un article paru samedi sur laRegione on Tessin7.
« Le journalisme culturel n’a pas entièrement disparu, bien sûr, mais dans un journal comme celui-là Le temps Aujourd’hui, il n’y a plus les deux rubriques distinctes Culture et Société, deux pages la première, cinq la seconde, mais une seule rubrique Culture et Société, qui comporte au maximum deux pages. Pourtant, dans certains journaux, la rubrique culturelle a complètement disparu, comme pour dire qu’elle n’existe plus », raconte le dramaturge Antoine Jaccoud dans une vidéo projetée lors de la journée consacrée à l’Association suisse des fondations (SwissFoundations ; voir note ci-dessous, ed) sur la crise du journalisme culturel le 26 août. Il y a aussi d’autres témoignages d’acteurs culturels, par exemple celui de l’écrivain Daniel de Roulet : « Autrefois, quand je publiais un livre, je pouvais compter sur une quinzaine de revues littéraires en France et une dizaine de revues en Suisse. Aujourd’hui, je peux être heureux si trois revues sortent en France et deux en Suisse. Des critiques qui ensuite se ressemblent toutes parce que les journalistes n’ont pas le temps et se copient les uns les autres ».
L’écrivain Fabiano Alborghetti est également intervenu lorsqu’on lui a demandé « Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les journalistes sont souvent mal préparés, ce ne sont plus les intellectuels du passé, mais les employés d’une rédaction ». Le fait que le journalisme culturel soit en crise n’est pas nouveau, nous n’en parlions qu’il y a quelques mois sur ces pages, mais les résultats de l’étude sur la qualité du journalisme culturel commandée par ch-interculture au Centre de recherche sur les sphères publiques et la société de l’Université de Zurich dans le cadre de la recherche sur la qualité des médias (Yearbook Quality of the Media). Des résultats que Mark Eisenegger, président de la Fondation Kurt Imhof pour la qualité des médias et professeur de sociologie et de sphères publiques à l’Université de Zurich, ont présentés lors de la Journée de la fondation et que je vais essayer de résumer. La recherche est désormais basée sur l’analyse de près de 15 000 articles provenant de 60 agences de presse différentes. Il s’avère que les rédactions de la culture et de la science sont frappées par des coupes sévères, ce qui nuit effectivement à la qualité des contenus et prend du temps pour la recherche dans ce domaine. D’autre part, la concentration des médias s’est fortement accrue, entraînant une moindre diversité des contenus et une plus grande uniformité. En bref, il y a moins de journalistes qui produisent du contenu qui est ensuite distribué dans différents journaux et plateformes. En général, la qualité compte, surtout quand on regarde les journaux les plus faisant autorité comme ça Le nouveau Zurich Times ou le dimanche, mais il y a une tendance croissante vers les nouvelles douces et donc le divertissement est favorisé au détriment de l’analyse approfondie et le journalisme d’opinion se développe.
© ch-interkultur
Ulrich Gut
Le copier-coller habituel
Pour mieux comprendre nous avons posé quelques questions au président de ch-intercultur Ulrich Gut.
M. Gut, avez-vous été surpris par les résultats ou les attendiez-vous ?
« Cela dépend des aspects de la recherche sur lesquels nous voulons mettre l’accent. Deux points fondamentaux émergent, le premier purement quantitatif, qui nous apprend que le nombre d’articles consacrés à la culture est resté stable au cours des dix dernières années. D’autre part, si vous regardez de plus près et considérez également la qualité des textes, vous constaterez que la critique culturelle a considérablement diminué. Un chiffre qui doit être lu en tenant compte de divers facteurs : du fait de la concentration des médias, il y a de moins en moins de rédactions indépendantes, des contenus de plus en plus homogènes et de moins en moins diversifiés sont produits. La crise économique du journalisme, désormais exacerbée par la pandémie, a également réduit les ressources, exercé une forte pression économique sur les rédactions et la nécessité de réduire les coûts. Le journalisme culturel et le journalisme scientifique ont tous deux été touchés par des mesures de confinement et des coupes budgétaires majeures. Tout cela a des répercussions sur la scène culturelle et ses opérateurs, qui ne trouvent plus de place, de visibilité et de résonance critique dans les médias ».
Pourquoi coupe-t-elle tant de la culture et pas tant du sport, par exemple ?
« Matthias Zender, expert média et co-fondateur de Bajour, l’a bien expliqué en mettant l’accent sur la course médiatique à l’attention et aux clics lors de la conférence. Cette course conduit à une préférence pour les contenus axés sur les émotions, les aspects sensationnels ou la personnalisation avec une tabloïdisation conséquente du contenu. Je ne pense pas qu’il y ait de discrimination culturelle délibérée, la pression économique est lourde sur toute l’équipe éditoriale qui travaille pour atteindre et maintenir ce statut d’attention. »
La semaine dernière, sur la base de recherches, les médias tessinois ont rapporté que des portails gratuits tels que « Tio » et « 20 Minuti » avaient la primauté du journalisme culturel en Suisse italienne, n’est-ce pas un peu étrange ?
«La même chose s’est produite en Suisse romande. Malheureusement, la recherche quantitative ne nous a pas permis d’analyser de manière exhaustive le contenu des articles individuels et de les classer dans les différents genres. Une conception très large de la culture a été utilisée. En vérité, les articles sur la culture sur les portails gratuits sont presque toujours des copier-coller des actualités de l’agence. À ce stade, il faudra donc revenir à une analyse plus approfondie ».
Décrit le cadre dans lequel nous nous trouvons, quelles sont les perspectives d’avenir du journalisme culturel ?
« Je suis d’accord avec Mark Eisenegger lorsqu’il dit que nous devons être plus audacieux pour subventionner directement les médias. Nous devons briser ce tabou selon lequel le financement direct enlèverait l’indépendance des éditeurs et des journaux, pour que cela se produise, il suffit de regarder le modèle suédois. Il est remarquable que l’Association des fondations suisses ait décidé d’investir une journée entière avec des invités d’exception dans le journalisme culturel, c’est un signal important. À l’avenir, ce devraient être les deux principales ressources auxquelles on peut puiser : les fondations et le secteur public. Pour éviter le pire, il me semble qu’il n’y a pas d’autres alternatives viables. Comme l’a dit le professeur Eisenegger, le journalisme culturel est vital pour une société cohésive et inclusive.
© Ti Press
Renato Martinoni
Moins d’argent, moins de pages, des informations similaires
Parmi les membres du comité ch-intercultur il y a une antenne pour la Suisse italienne Renato MartinoniProfesseur émérite de littérature italienne à l’Université de Saint-Gall, nous lui avons également posé quelques questions.
Professeur, où vous renseignez-vous généralement lorsque vous recherchez des articles culturels ? Avez-vous des publications de référence pour la presse écrite ou la radio ?
« Pour le travail académique, j’utilise des revues professionnelles et quelques sites en ligne particulièrement fiables. Les journaux et la radio fournissent chaque jour des informations rapides, étendues et complémentaires. Pour cette raison, les rubriques culturelles de la radio et les pages des journaux consacrées à la culture restent fondamentales ».
Souhaitez-vous plus d’espace pour la culture dans les médias ?
« Nous vivons une réduction pas toujours motivée des moyens financiers et humains destinés à la culture. Parallèlement, les pages éditoriales externes et payantes se multiplient dans les journaux, qui donnent des informations du point de vue de ceux qui ouvrent le sac : c’est de la propagande déguisée en démocratie. Au lieu de cela, la culture est un lieu de liberté : de pensée, d’opinion, d’expression. Il n’est pas vrai que la culture soit d’extrême gauche (même partiellement, uniquement parce que la droite, malheureusement, par ignorance ou par préjugé, la méprise). Pour ne rien arranger, on comprend aujourd’hui que la culture veut tout dire : à commencer par le spectacle. Donc pour la télévision, les courts métrages américains, c’est aussi de la ‘culture’ ».
L’étude indique que la critique, en particulier, est en train de disparaître des médias. Eh bien, en matière de littérature, que pensez-vous qu’il manque au journalisme aujourd’hui ?
« La critique en effet. Ne pas comprendre dans le sens de tirer dans le tas ou de coller d’un côté ou de l’autre, mais de lire les faits avec compétence et honnêteté, sans partialité. Dans le passé, le journalisme culturel était à blâmer pour l’élitisme. Aujourd’hui, c’est parfois le fruit de l’occasion et souvent par des amis pour des amis. Trop souvent, il se limite alors à l’actualité qui est aussi importante. D’un autre côté, il y a un manque d’analyse approfondie, de réflexion, de débat ».
L’étude cite la concentration des médias, qui conduit à moins de diversification, ainsi que les ressources de plus en plus rares de la presse et des médias en général comme raisons de cette crise. À votre avis, cela s’applique-t-il également au Tessin ? Trouve-t-il également d’autres éléments ?
«Les raisons de la crise sont précisément celles-ci et cela s’applique également au Tessin: dans le sens où certains journaux ont disparu et donc il y a eu une concentration des médias. Les temps changent et il serait hypocrite de se plaindre. Mais ceux qui aiment la pluralité ne peuvent s’empêcher de s’inquiéter. De plus, il est également économiquement erroné de croire que la culture est une perte de temps au niveau journalistique.
A partir d’aujourd’hui, il n’y a plus de tendance à économiser sur la culture et non sur le sport par exemple. Quand on pense que les médias sont le miroir de la société, qu’est-ce que cela nous dit ?
« Je ne suis pas sûr que l’auditeur et le lecteur se soucient plus d’une interview avec un athlète qu’une personne culturelle. Au mieux, la culture peut être une nuisance parce qu’elle n’est pas un simple passe-temps ou une répétition de choses cassées.
Croyez-vous en l’engagement de ch-intercultur d’agir comme une plateforme permettant à la Suisse d’innover et de redonner de l’espace et de l’autorité au journalisme culturel ?
« Ch-intercultur est un groupe de personnes libres, d’orientations différentes, avec des capacités différentes. Elle travaille dur pour donner un nouvel élan au journalisme culturel. Elle le fait en organisant des réunions dans les différentes régions linguistiques de Suisse pour comprendre ce qui pourrait être fait sérieusement. Pas tant comme une alternative, mais comme un complément à la situation actuelle. Sur la base des retours et de ses propres réflexions, il proposera ensuite une autre voie à suivre. »
REMARQUER: Créée en 2001 à l’initiative de plusieurs partenaires, SwissFoundations (fondationssuisse.ch) est la plus importante association de fondations caritatives de Suisse. Fait intéressant, il y en a 55 dans le canton de Zurich et 47 en Suisse romande, mais seulement 6 au Tessin.
© Ti Press
Aujourd’hui, il n’y a que deux journaux payants au Tessin. Pourtant, il y a quelques décennies…
© Ti Press
des pages culturelles ? Selon certains, oui, pour d’autres à copier-coller à des fins commerciales.
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